Avec étude de l’œuvre de Carle Van Loo, La halte de chasse, 1737(1).
Nous vous proposons une reprise du XIXème siècle de la toile La halte de Chasse (1737) de Charles-André, dit Carle Van Loo (1705-1765), peintre très célèbre du Roi Louis XV et du XVIIIème siècle. Cette huile sur toile représente la légèreté qui gagne tout le règne de Louis XV tant dans la peinture, que l’on qualifia de « peinture galante », que dans le mode vie. Arrêt sur image.
Un déjeuner de standing
La toile représente un déjeuner lors de la halte d’une partie de chasse en forêt, peinte dans le goût des paysages flamands du XVIIème siècle.
On y aperçoit différents protagonistes : au centre, légèrement désaxé sur la gauche de la composition, le couple principal, richement habillé, qui déjeune en badinant ; il a d’ailleurs été dit qu’il pourrait s’agir d’une représentation de Louis XV avec l’une de ses maîtresses[1]. Derrière eux, on aperçoit de nombreuses victuailles sur une grande nappe blanche. Tout autour, des hommes, dans des vêtements plus pratiques, déjeunent et se font servir par des serviteurs dont un de couleur qui est enturbanné ; tous les marqueurs d’opulence et de richesses sont réunis.
La halte de chasse, un temps de repos hors de l’étiquette
La chasse est un sport très apprécié par les Rois, notamment de Louis XV, qui chasse souvent plusieurs fois par semaine et qui pouvait même chasser jusqu’à plusieurs fois par jour. Pour cela, des hectares de forêt à proximité de Paris ou dans le Grand Parc de Versailles sont à sa disposition. Être invité par le Roi à la chasse est un privilège ; sauf autorisation de sa part, il est le seul à pouvoir tirer.
La chasse à courre (aussi appelée « vènerie », qui se pratique avec les chiens) est traditionnellement réservée aux hommes car considérée comme trop violente pour les femmes. Ces dernières sont néanmoins invitées à les rejoindre pour la halte ; c’est alors l’occasion, dans un cadre champêtre bien loin des pesanteurs de l’étiquette de la Cour, de se courtiser en toute légèreté. C’est à cause de cette thématique de la séduction que l’on parlera de « peinture galante » ou de « genre galant » ou encore de « petit genre » (par opposition au grand genre… de la peinture d’Histoire).
Un nouveau mode de vie plus léger
À chaque souverain son style, à Louis XV celui de la légèreté. Représenter de tels moments de douceur et d’insouciance en peinture a été appelé le » genre galant « . L’apparition de cette manière résulte de la conjonction de différents éléments complexes, mais s’explique, entre autres, par l’évolution des mœurs et un changement de la typologie des commanditaires.
Sous Louis XIV, un règne autoritaire principalement dévolu à la grandeur du monarque et au respect de la bienséance et de l’étiquette, les mœurs étaient beaucoup plus contrôlées, du moins en public et officiellement ; la principale source de commandes était d’origine royale et avait essentiellement pour but de glorifier la personne du Roi et son règne.
Avec la Régence, et cela perdure sous Louis XV, les mœurs s’allègent considérablement et la haute aristocratie commence à pratiquer de façon notoire le libertinage. Cet assouplissement des mœurs accompagne un nouveau courant de réflexion des philosophes et autres intellectuels de l’époque : l’individu est un être à part entière doté d’une liberté personnelle, il devient le nouveau centre de réflexion en vogue ; les expériences et plaisirs qu’il peut connaître découlent assez logiquement de ce nouvel axe d’étude.
Les commanditaires subissent également une mutation : sous Louis XV la commande privée s’accroit et supplante la commande religieuse ou étatique ; les artistes suivent alors les goûts de cette nouvelle clientèle fortunée, qui préféra également des sujets plus légers et en adéquation avec leurs nouvelles activités.
La commande étatique continue néanmoins d’exister, mais elle s’adapte à ce nouveau goût ; ainsi cette toile de Carle Van Loo a été commandée pour orner la salle à manger des petits appartements du Roi Louis XV au Château de Fontainebleau, où elle voisinait La Halte des grenadiers de la Maison du Roi de Charles PARROCEL. Deux années plus tôt, le roi commandait deux toiles pour ses petits appartements de Versailles sur des thématiques similaires : Le Déjeuner d’huîtres, de Jean François de TROY et le Déjeuner de Jambon de Nicolas LANCRET.
La peinture galante, une nouvelle manière
Aux grandes peintures d’histoires et sujets mythologiques succèdent donc des scènes qui montrent les plaisirs de la vie quotidienne tels que des repas, des grandes fêtes, des baignades ou promenades bucoliques ou encore des scènes d’intrigues amoureuses, baignées de lumière douce, de couleurs vives et de froufrous.
La peinture la plus souvent considérée comme la première à représenter le genre de la peinture galante est le Pèlerinage à l’île de Cythère, 1717 (3), de Watteau, qui développera le thème des fêtes galantes. S’inscriront dans cette lignée d’autres peintures, et pas seulement des fêtes: des œuvres de François BOUCHER, avec des sujets tels que La toilette de Vénus (1751) (4), ou, plus tard, le très célèbre Les hasards heureux de l’escarpolette (1767) de FRAGONARD. La manière ou peinture galante est donc une appellation plus large que les fêtes galantes et peut regrouper tous les sujets légers qui traitent de séduction, badinage, plaisirs champêtres et extérieurs ou des scènes d’intérieures intimes.
Ce genre léger, loin d’une certaine rigueur morale, fut beaucoup fustigé, notamment par Diderot. Néanmoins cet apparent rejet ne concerne pas nécessairement l’habileté technique des peintres[2]. Ainsi Carle Van Loo fut reconnu de façon assez unanime comme un peintre de très grand talent (notamment par Grimm et Diderot) et il eut une carrière éminemment brillante. Protégé de Louis XV, il devient premier peintre du Roi en 1762, comme le fut Charles Le Brun pour Louis XIV, et, comme lui, fut nommé directeur de l’Académie en 1763, fonction qui lui permettait entre autre d’avoir un rôle de premier plan sur le goût officiel.
Au delà de la peinture, c’est toute la décoration intérieure qui, pendant une trentaine d’année, s’assouplit à l’image des sujets peints : les couleurs s’éclaircissent au profit de tons délicats et pastels, les courbes des meubles n’en finissent plus de s’arrondir, et c’est l’ensemble du règne de Louis XV qui acquiert alors une identité nouvelle.
Le retour de l’ordre moral en peinture
Cet emballement décoratif s’arrête dans les années 1750 car les critiques affluent : La Font de Saint-Yenne (L’ombre du Grand Colbert, 1752) et Cochin (« Supplication aux Orfèvres, Ciseleurs, Sculpteurs en bois pour les appartements & autres », Mercure de France, 1754) ouvrent la voie et Diderot s’y engouffre avec ravissement dans Le Salon de 1755 lorsqu’il voit l’œuvre de Greuze, La lecture de la Bible. En effet, s’il a su apprécier la maîtrise technique de Boucher, il avait fini par ne plus pouvoir supporter son âme de corrupteur et ses compositions opulentes remplies de « culs joufflus et vermeils »[3].
Certains peintres résistent, comme Boucher et Fragonard, tandis que d’autres plient, comme Carle Van Loo, qui cédera à des inflexions néoclassiques (L’adoration des mages, vers 1739). Le genre galant, et plus largement le style Louis XV, se retrouvera fragilisé durant la deuxième moitié du XVIIIème siècle, où il coexistera quelques années avec les premières manifestations du néoclassicisme, donnant alors lieu à un style quasi-autonome, le style Transition, jusqu’à céder totalement la place au néoclassicisme.
[1] Réau L., « Carle Van Loo » in Société de l’Histoire de l’Art Français,[et Adhémar J., Réau L., Messelet J.], « Carle Van Loo, Jean Restout […] », Revue de l’Art français ancien et moderne, éd. Jean Schemit, Paris , 1935, Tome XIX, p.44
[2] A ce sujet, la lecture des Salons de Diderot permet parfaitement de rendre compte de la complexité du sujet : Diderot, dont la théorie esthétique est complexe et se construit notamment sur la figure de repoussoir de Boucher, admirait pourtant véritablement ce dernier et lui reconnaissait le don de captiver son public par sa maîtrise technique. Talent et sujets jugés « de petit goût » n’étaient donc pas forcément incompatibles…
[3] Extrait du Salon de 1763 à propos du tableau de Boucher La Bergerie in Assézat J. [et Tourneux M.], [Diderot D.] Œuvres complètes de Diderot : revues sur les éditions originales…. Etude sur Diderot et le mouvement philosophique au XVIIIe siècle, ed. Garnier frères, Paris, 1875-1877, Tome X, p.173
SOURCES
Bibliographie :
Assézat J., Tourneux M., [Diderot D.] Œuvres complètes de Diderot : revues sur les éditions originales…. Etude sur Diderot et le mouvement philosophique au XVIIIe siècle, ed. Garnier frères, Paris, 1875-1877, Tome X et XI
Cuzin J.-P., Laclotte M., « Charles-André, dit Carle» in Dictionnaire de la peinture [Nouv. éd.], Larousse, Paris, 2003 p.884
Société de l’Histoire de l’Art Français, [Adhémar J., Réau L., Messelet J.], « Carle Van Loo, Jean Restout […] », Revue de l’Art français ancien et moderne, éd. Jean Schemit, Paris , 1935, Tome XIX, p.44
Webographie :
Atlas, Base de données des œuvres exposées (Musée du Louvre), Notice de la Halte de Chasse de Carle VANLOO, consultée le 8/11/2018 URL = http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=11511
Site du musée du Louvre, Vincent Pomadère, Notice de Un déjeuner de Chasse peint par de Troy, consultée le 8/11/2018 URL = https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/un-dejeuner-de-chasse