À l’occasion du 20ème anniversaire de la disparition de Charlotte Perriand (1903-1999), la Fondation Louis Vuitton lui consacre jusqu’au 24 février 2020 une grande exposition extrêmement bien documentée, riche en reconstitutions et en explications des différentes périodes de sa vie. Nous vous proposons également de revenir sur le parcours hors norme de cette femme libre, engagée, pionnière de la modernité et devenue l’une des personnalités incontournables du design du XXème siècle.
Chronologie
1903 – Naissance de Charlotte Perriand
1925 – Elle suit les cours à l’Ecole de l’Union Centrale des Arts Décoratifs de Paris de 1920 à 1925
1927 – Elle expose au Salon d’Automne créé par la Société des Artistes Décorateurs et se fait remarquer par le Corbusier et Pierre Jeanneret avec qui elle collaborera pendant plus de 10 ans
1929 – Création de l’Union des Artistes Modernes avec de nombreux architectes décorateurs
1942 – Charlotte part pour un séjour de deux ans au Japon en tant que conseillère pour l’art industriel auprès du Ministère du Commerce japonais
1946 – Retour en France. Début du projet de mobilier des chalets à Méribel (1946-1949)
1950 – Prototype de cuisine pour l’Unité d’Habitation de Le Corbusier à Marseille
1955 – Exposition « Synthèse des arts » à Tokyo en mêlant arts plastiques et mobilier intérieur
1957 – Bureaux londoniens d’Air France
1959 – Salles de conférence pour les Nations Unies à Genève (1959-1970)
1967 – Station de ski Les Arcs (1967-1986)
1993 – Dernier projet : salon de thé de l’UNESCO, inspiré par les pavillons de thé japonais
1999 – Décès de Charlotte Perriand
Un esprit moderne
Après des études à l’Union Centrale des Arts Décoratifs, elle réalise quelques commandes privées mais sa carrière d’architecte-designer commence véritablement avec le mobilier métallique qu’elle crée pour son appartement et qu’elle présente au Salon d’Automne de 1927, sous le nom « Bar sous le toit ».
Avant-gardiste dans sa manière de créer, elle expérimente de nouveaux matériaux industriels comme le tube métallique, l’aluminium ou le caoutchouc.
Les meubles modulables, les matériaux et les couleurs créent un endroit chaleureux et confortable, à la fois luxueux et décontracté, salué par la critique.
L’expérience Le Corbusier
Remarquée par Le Corbusier et Pierre Jeanneret en 1927, Perriand entre dans leur atelier et fait évoluer le mobilier dessiné par les designers en y insufflant une touche d’humanisme.
Elle apportera sa touche personnelle en abordant avec eux la question de l’équipement intérieur et en créant du mobilier qui s’émancipe de sa pièce de destination.
Le Corbusier, Jeanneret et Perriand souhaitaient rendre l’espace le plus fonctionnel et modulable possible, et ils y parviendront avec brio lors de la réalisation de projets innovants et modernes tels que la Villa Church que Le Corbusier construira et que Perriand aménagera, notamment avec la Chaise Longue LC4.
Une artiste engagée
Perriand participe à la création de l’UAM (*Union des Artistes Modernes) en 1929, qui réclame un art moderne social et rationnel. Quelques années plus tard, elle soutient les thèses débattues lors des Congrès Internationaux d’Architecture Moderne que sont le rendement, la modularité et la préfabrication d’éléments.
Elle réalisera alors la Maison de weekend composée de pièces juxtaposables et d’éléments modulables intérieurs et extérieurs, ainsi que le Refuge bivouac, entièrement préfabriqué.
Ses convictions politiques se ressentent dans son travail. En 1936, elle participe au Salon des Arts Ménagers où elle créera du mobilier répondant à des contraintes économiques, destiné aux classes moyennes les plus touchées par la crise des années 1930. La même année, elle milite pour l’Espagne Républicaine et s’engage aux côtés de Fernand Léger pour le Front Populaire.
Elle réalisera également plusieurs décors de fresques en collage figurant la misère des classes ouvrières, agricoles et populaires, comme La Grande Misère de Paris en 1936 ou le photomontage du Pavillon du Ministère de l’Agriculture, co-réalisé avec Fernand Léger, à l’occasion de l’Exposition internationale de 1937 à Paris et qui illustre la politique agricole du Front Populaire.
Le voyage au Japon
Invitée par le gouvernement japonais pour conseiller la production d’art industriel du pays, Charlotte Perriand réalise de 1940 à 1942 des recherches sur l’agencement intérieur. Elle découvre et s’inspire de la simplicité des intérieurs japonais qui mélangent harmonieusement tradition et modernité et connaissent depuis longtemps des espaces intérieurs modulables.
Elle découvre également de nouveaux matériaux et de nouvelles manières d’agencer l’espace de façon économe, populaire et fonctionnelle. Elle se prend de passion pour cette culture différente de la sienne et s’en imprègne pour ses créations des décennies suivantes, qu’elle adapte aux qualités techniques des matériaux asiatiques.
Rio de Janeiro
Le mari de Charlotte Perriand est nommé directeur d’Air France pour l’Amérique Latine en 1962. C’est l’occasion pour elle d’aménager l’intérieur de son appartement de fonction situé au Brésil tout en restant fidèle à ses principes : création de formes utiles, fonctionnelle, en adéquation avec la culture et les matériaux locaux.
Sa grande faculté d’imprégnation lui permet de réaliser un mobilier en harmonie avec ses propres principes adaptés à l’identité brésilienne ; elle utilise du palissandre de Rio pour une grande table de salle à manger, qu’elle mêle avec du cannage pour une table basse ronde s’ouvrant en éventail ou bien du tressage de jonc pour une bibliothèque créée à l’origine en sapin et en casiers métalliques.
La passion de la montagne
Issue d’une famille savoyarde, Charlotte Perriand a toujours été passionnée par la montagne et réalisa divers projets dans les Alpes. Le grand projet de la station de ski Les Arcs commença en 1967 avec une volonté d’intégrer le plus possible l’architecture dans le paysage grâce à des bâtiments en pente douce.
L’aménagement intérieur est pensé avec du mobilier créé en série et des éléments préfabriqués pour des espaces répondant au même schéma : un appartement modulable, sans vis-à-vis et donnant directement sur la montagne grâce à de larges baies vitrées. Ce projet sera un de ses plus longs et terminera en 1989.
L’entourage artistique
Tout au long de sa vie, Charlotte Perriand côtoie de nombreux artistes avec qui elle collabore parfois et qui éclairent sa création. Elle crée notamment l’exposition « Synthèse des arts » au Japon, en 1953, où son mobilier côtoie des toiles de Léger, Soulages, Hartung et des tapisseries de Le Corbusier.
Au Brésil, elle rencontre des architectes et des designers fameux comme Oscar Niemeyer ou Lucio Costa qui lui font découvrir de nouveaux matériaux et de nouvelles manières de concevoir le meuble.
Toutes ces rencontres forgeront son style qui évoluera au fur et à mesure des années.
L’équipement collectif
Tout au long de sa carrière, Perriand s’engage socialement dans la recherche d’un cadre de vie humain. Selon elle, la qualité de vie passe par une harmonie entre l’homme et son habitat.
Elle adapte et optimise au mieux les lieux de vie en concevant de nombreux programmes d’habitat collectif comme les chambres d’étudiants de la Cité universitaire de Paris dont les espaces sont modulables, rationalisés et fonctionnels.
Elle développe également des unités de rangement qui consistent en des éléments standardisés pouvant s’acheter séparément et modulables, des cuisines intégrées ou bien des cabines sanitaires préfabriquées.
Le style Perriand
Le style Perriand traduit le renouveau des valeurs esthétiques au début du XXe siècle vers la modernité. Utilisant à ses débuts des matériaux novateurs comme le métal, le cuivre ou l’aluminium, elle réalise des pièces modulables, fonctionnelles et épurées.
Ses différents voyages en Asie et au Brésil enrichissent sa manière de concevoir le meuble et l’aménagement intérieur. Elle utilise alors des matériaux comme le bambou, le bois, les tissages et la laque. Sa production mobilière tentera toujours de faire une synthèse en l’Homme et son environnement, en privilégiant l’épuration, l’originalité et la liberté.
