1. Biographie
Georges Jouve (1910-1964), est un céramiste français de premier plan. Né de parents décorateurs parisiens, formé à l’école Boulle, à l’Académie Jullian et à celle de la Grande Chaumière, Georges Jouve était destiné à devenir architecte. Mais les aléas de la vie et plus précisément la seconde guerre mondiale, l’amènent, après avoir été fait prisonnier à Forbach par les allemands et s’être évadé en 1943, à se réfugier en zone libre chez ses beaux-parents.
Les débuts à Dieulefit
C’est là, à Nyons, que Georges Jouve éprouvé par la guerre va, encouragé par sa femme Catherine, se reconstruire et subvenir à ses besoins au contact d’une nouvelle discipline artistique : la poterie.
Il faut préciser que Dieulefit, village de potiers connu pour sa fabrication de Santons, n’est qu’à 30 kilomètres de Nyons et lui offre donc l’opportunité de se familiariser à la fois avec cette discipline et ses acteurs. Il reprendra d’ailleurs un an plus tard, en 1944, l’atelier de Jacques Courtier à Dieulefit, chez qui il faisait cuir ses pièces.
1944 marque un pas décisif dans la carrière de Georges Jouve. C’est à ce moment que Jacques Adnet, décorateur et promoteur des arts et des artisans français à travers la Compagnie des Arts français des Galeries Lafayette (1) qu’il dirige depuis 1928, découvre les œuvres de G. Jouve exposées à la galerie parisienne de l’Arcade par Lilette Richter.
Il décidera d’en faire la promotion via les expositions auxquelles il participe tant à Paris (Salon des artistes décorateurs, Exposition internationale des Arts et des Techniques) qu’à l’étranger (Association française d’action artistique, AFAA).
1945, le retour à Paris
La guerre est sur le point de se terminer et le couple Jouve décide en 1945 de rentrer à Paris. Il loue, grâce à leurs amis les Malclès, une maison et son atelier rue de la Tombe-Issoire, au numéro 83. C’est le début d’une nouvelle période à la fois dans la vie mais aussi dans l’œuvre de Georges Jouve qui durera 9 ans (1954).
Porté par l’émulation et le dynamisme de l’après-guerre où tout est à réinventer, Georges Jouve participera à de nombreuses manifestations artistiques nationales et internationales et notamment au salon de l’imagerie qui influencera ses premières œuvres parisiennes. Ces expositions mais aussi les relations amicales qu’il entretient avec les artisans de l’avant-scène artistique parisienne seront l’occasion pour notre artiste de nourrir sa réflexion, de développer ses recherches, sa créativité et au final d’affirmer son style.
1954-1963, Le Pigonnet
1954, avec l’installation de la famille au Pigonnet banlieue d’Aix en Provence, est probablement le début de la période de maturité de l’artiste. Bénéficiant à la fois d’une belle notoriété auprès des institutions françaises et étrangères, des décorateurs et du public du monde de l’art mais aussi d’un atelier plus grand et confortable, Georges Jouve va pouvoir poursuivre ses expérimentations et développer son talent en grand. Et cela dans un contexte amical, fraternel et plus léger que celui de l’après-guerre et donc propice à l’épanouissement de l’artiste et de son art. C’est la période des grandes commandes qui permettent à Georges Jouve d’exprimer tout son talent et sa parfaite maitrise de la terre, du feu et du métier de potier.
C’est aussi la période où G. Jouve entretiendra des liens amicaux étroits avec Jeannette et Norbert Pierlots qui ont créé un centre de formation de poterie chez eux en Bourgogne. Les expositions de céramiques et de tapisseries qu’ils organiseront conjointement dès 1956 au château de Ratilly durant les périodes estivales, seront autant d’occasions de retrouvailles, de rencontres, d’échanges, de réflexions et d’émulation propices à la créativité. Celle de 1962 intitulée « Les Maîtres potiers contemporains » sera d’ailleurs reprise par le Musée des Arts Décoratifs à Paris.
1963 – 1964, Le domaine des Marronniers
En 1963, les promotions immobilières autour du Pigonnet inciteront Georges et sa femme Jacqueline à chercher un lieu plus paisible et plus bucolique. C’est ainsi qu’ils acquerront, entourés de verdure, le domaine des Marronniers, belle bâtisse avec ses dépendances d’époque Directoire, inhabitées depuis 30 ans, pour s’y installer. Malheureusement l’atelier qu’il avait installé durant l’année 1963 ne le verra pas œuvrer, puisque Georges Jouve décède en mars 1964, atteint de saturnisme lié à l’utilisation de certains émaux au plomb. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des céramistes français les plus importants de l’Après-Guerre, incarnant une riche créativité artistique et un style moderne précurseur.
2. Le style et la technique
Synthétiser fidèlement l’œuvre d’un artiste est difficile sans écorner la vérité de son travail. L’idée est donc ici de donner un aperçu de l’évolution stylistique et technique du travail de Georges Jouve permettant au propriétaire d’une de ses pièces de la situer dans le temps et d’apprécier ses qualités techniques, non pas d’affirmer une vérité objective.
Dieulefit. (1943-1945)
Les premières œuvres de Georges Jouve, celle de la période de Dieulefit (1943-1945), souvent réalisées selon la technique du colombin* ou bien de la pièce évidée dans la masse, appartiennent davantage au registre religieux : santons, crèche, vierge, bénitier, animaux. Les pièces de cette époque sont souvent recouvertes d’un émail « provençal » à faible opacité de couleurs aubergine, verte ou jaune réalisé à l’alquifoux (sulfure et oxyde de plomb) et parfois d’un émail blanc.
Il se dégage de ses pièces beaucoup de douceur, de naïveté, de rondeur, de rusticité et leurs tailles au départ petites finissent pas s’agrandir, signe d’une plus grande maîtrise de la matière et de la technique (cf autel). A la fin de cette époque les sujets de G.Jouve s’émanciperont peu à peu du thème religieux. Il expérimentera, à travers une production de vases, pots à tabac ou lampes, plus « profane », la capacité de la terre à se tordre et à donner l’illusion du mouvement.
Paris. (1944-1953)
À partir de 1944, le retour de la famille Jouve à Paris va avoir de véritables répercutions sur le travail du céramiste. Les salons auxquels participe Georges Jouve (salon de l’imagerie, salon de la Compagnie des arts français, salon des artistes décorateurs, des métiers d’art, de l’action artistique française) mais aussi les nouveaux échanges amicaux et professionnels qu’il développe sans oublier le contexte artistique parisien de l’après-guerre, alors en pleine effervescence sont autant de facteurs qui vont impacter son travail.
D’un point de vue technique, Georges Jouve va abandonner peu à peu l’alquifoux provençal pour appréhender des nouveaux émaux qu’il achète chez les marchands parisiens. Souvent blancs, ces émaux sont parfois ornés de décor polychromes, bleu, vert, jaune, rose, noir, rouille, parfois craquelés. Le décor quant à lui est souvent réalisé en relief mais il peut être peint ou bien encore gravé dans la chair du vase.
C’est aussi à la fin de cette époque que Georges Jouve va recouvrir ses pièces d’un sobre et élégant émail noir à l’oxyde de cuivre « attaqué » à l’acide pour lui donner un effet de matière. Ce faisant, il lancera une véritable mode dans le monde de la céramique. Pendant cette époque, Georges Jouve optait rarement pour la technique du tour pour la création de ses pièces. Il considérait que le résultat était trop uniforme, trop parfait, peut-être dépourvu de vie, presque « anormal » et artificiel.
Préférant ainsi le modelage, le coulage et l’estampage, il conférait à ses œuvres une absence délibérée d’axe distinct. Une observation attentive révélera que les créations de G. Jouve se caractérisent par cette particularité, et si vous en identifiez un, il est probable que vous soyez en présence d’une reproduction.
Du point de vue stylistique, l’évolution de l’œuvre de Georges Jouve est particulièrement marquante au cours de ces neuf années parisiennes.Initialement fortement influencées par le Salon de l’imagerie, ses premières créations parisiennes puisent leur inspiration dans des figures issues de la mythologie gréco-romaine, ainsi que dans les contes et les traditions populaires.
Pomones, Bacchus, Barbe-bleue, la petite sirène, des figures féminines, et même des animaux de la campagne tels que le coq, le taureau et la chouette, sont autant de sujets que l’on retrouve sculptés en ronde bosse, gravés ou peints dans l’œuvre de G. Jouve.
Ces pièces, souvent anthropomorphes, se distinguent par leur traitement généreux, tant dans leur forme que dans l’aspect opulent des émaux. Elles se révèlent expressives, ventrues, charnelles, rustiques, opulentes, douces, correspondant ainsi parfaitement à l’esprit prédominant de l’immédiat après-guerre, caractérisé par un retour aux traditions.
Néanmoins, à Paris, le souffle de la modernité imprègne l’inspiration de Georges Jouve. Bien que les techniques de fabrication demeurent inchangées, le style de ses créations évolue graduellement vers une simplification. La terre est lissée, les formes et les volumes subissent une réduction croissante, adoptant des lignes de plus en plus géométriques et épurées (notamment avec la disparition fréquente des anses).
Les décors, qu’ils soient peints, gravés ou en relief, se font plus rares. L’utilisation d’une seule couleur d’émail, parfois deux avec celle de l’intérieur, devient prédominante. Les sujets, quant à eux, sont symbolisés àtravers des traits et des volumes de plus en plus synthétiques et abstraits, témoignant de la transition de l’œuvre de Jouve vers une esthétique résolument moderne.
Aix en Provence. (1953-1963)
C’est au Pigonnet, à Aix en Provence, que cette tendance à l’abstraction va prendre toute sa dimension. La maitrise technique de Georges Jouve est complète, son atelier est grand et les commandes étatiques, religieuses, ou privées d’envergure sont nombreuses.
Du point de vue technique, Georges Jouve pratique toujours le modelage, le coulage et l’estampage mais non pas dans l’idée de produire en grande série, ce qu’il ne fera pas, mais dans celle de pouvoir reproduire en petite série l’identité de belle pièce. Ainsi subsiste aujourd’hui 2 types de production de Georges Jouve, une de petite série l’autre de pièces uniques.
Il utilisera aussi notamment pour ses vases « cylindre » ou ses vases boules, le tour mais déjouera cet outil afin de casser la symétrie ou la géométrie, selon lui, trop parfaite et limitée des objets bien tournés.
Ainsi désaxera-t-il le centre de la pièce en cours de tournage par rapport à celui de la girelle, créant ainsi un second axe apportant ainsi à l’objet fini un léger déséquilibre ou une délicate tension plus proche du vivant ou du naturel.
L’émaillage quant à lui qu’il soit lisse, texturé ou finement craquelé, satiné, moiré, noir, blanc ou coloré obéira à la même exigence de simplification de l’artiste.
Ainsi les émaux des œuvres de la dernière période se simplifient-ils à l’extrême tout en conservant leur sophistication. Certaines des œuvres de Georges Jouve de cette période ne sont pas sans rappeler, par leur raffinement, leur sobriété, leur élégance et même leurs formes, les céramiques intemporelles asiatiques/japonaises du XIe – XIIe siècles.
Le décor subira la même emprunte esthétique. Il disparaîtra quasiment laissant la part belle à l’émail mais aussi aux lignes sobres, courbes et adoucies / usées révélant grâce aux jeux de lumières les volumes essentiels et intemporels des œuvres petites ou monumentales de la dernière période de Georges Jouve.
Ces céramiques acquerront donc une dimension beaucoup plus sculpturale et abstraite que ce soit dans toutes les pièces utiles destinées à la décoration d’intérieur comme ses luminaires, miroirs, coupes, plaques de parement mais aussi dans ses œuvres plus monumentales destinées à l’architecture. Ces dernières ne sont pas sans rappeler d’ailleurs les œuvres abstraites de sculpteurs contemporains comme Jean Arp, Henry Moore ou bien encore Constantin Brancusi.
Sculptures
1.L’Olive noire, 1955. Sculpture monumentale, pièce unique. Céramique émaillée noire à l’oxyde de cuivre*
2.Sculpture grande voile, 1957. Céramique émaillée noir à l’oxyde de cuivre*
3.Le couple. Tôle découpée, fer et cuivre*
4.Bronze anamorphique, 1957*
5.Sculpture. Céramique émaillée noir*
6.L’arbre, 1951. Céramique émaillée noire à l’oxyde de cuivre*
7.Le couple, 1960. Terre cuite et engobée*
3. L’originalité de Georges Jouve
Georges Jouve est un autodidacte qui restera, toute sa vie, ouvert aux expérimentations les plus diverses sans jamais se laisser happer par les idées reçues, le conformisme et la théorie. Cet état d’esprit et sa modestie nourrira tout au long de sa vie, sa curiosité, sa créativité et son originalité. Il entretiendra avec la terre, le feu et donc son métier un rapport charnel, ludique, pragmatique lui permettant de pousser loin les expérimentations et d’agrandir constamment ses connaissances techniques et ses prouesses stylistiques. Cet amoureux de la terre , cet artisan qui aimait faire des objets utiles recherchera aussi toute sa vie à faire des objets beaux car selon lui : « un objet est utile dans la mesure où il est beau » et dans la mesure où il est beau « …il devient nécessaire ». Cette phrase résume bien son œuvre.
Signatures
Le plus souvent signature monogramme en nœud de trèfle appelé Alpha ou bien signature du nom de Jouve gravé au revers, parfois les 2. Attention, la signature est parfois à peine perceptible sous l’émail notamment sur les pièces de couleur claires. (4)
Sources :